Pour la filière L, où se recrutent en théorie nos meilleurs apprentis philosophes, le baccalauréat proposait une réflexion sur un thème assez classique : la liberté est-elle menacée par l’égalité ?
Oui, mille fois oui. L’actualité nous offre d’innombrables exemples de cette menace. La chronique politico-judiciaire récente a démontré que l’égalité hommes-femmes est très préjudiciable à la liberté des hommes. De même l’égalité, la similitude de vues si l’on préfère, entre les dictateurs arabes menace fortement la liberté des peuples. L’égalité de traitement que Nicolas Sarkozy réserve à ses opposants hypothèque à l’évidence la liberté de manœuvre de Rama Yade et de Ségolène Royal. Ne parlons pas des revendications égalitaires de la gauche et des syndicats qui prétendent entraver la liberté du gouvernement d’alléger l’impôt de solidarité sur la fortune.
Et tous les citoyens s’y mettent. Par une sorte de prurit démocratique, ils entendent remettre en cause la liberté des sondeurs et des prescripteurs d’opinion de nous dire, comme ils l’avaient fait si brillamment en 1995 et en 2002, ce que sera le résultat de l’élection présidentielle en 2012. On n’en finit pas. Des piétons et des cyclistes déambulateurs de l’égalité militante remettent en cause la liberté irréductible des automobilistes d’écraser qui bon leur semble.
Il semble que les leçons, pourtant très édifiantes, de l’échec total des sociétés collectivistes fondées sur une rigoureuse égalité – exception faite bien sûr des privilèges des détenteurs du pouvoir politique – n’aient pas porté. Il se trouve encore des individus épris d’égalité, une égalité qu’ils n’hésitent pas à nommer justice, pour contester la liberté des puissants, celle des banques ou des multinationales. Or les riches ne sont que l’avant-garde de nos propres libertés futures. Viennent à dépérir les leurs et c’en sera fini des nôtres. On se demande où le bon peuple égalitaire a la tête. Et même s’il a une tête.
Le très libre Pablo Escobar nous a fourni un exemple posthume. Par un caprice génial de sa liberté, il avait importé des hippopotames africains dans son hacienda située au bord de ce fleuve Magdalena si cher à Gabriel Garcia Marquez. Les hippopotames se sont acclimatés et reproduits allègrement ; ils menacent aujourd’hui les cultures et la vie de pauvres paysans colombiens anonymes qui, emportés par leur fureur égalitaire, exigent l’abattage de ces animaux, derniers symboles de la liberté d’Escobar.
Si l’on veut une vue plus juste que nos blagues de ce vaste sujet de philosophie, on pourra s’abreuver aux « Propos sur le pouvoir » d’Alain.