Alors que le pays déplore une forte augmentation du chômage, la chaîne France 2 a puissamment contribué à la valorisation d’une activité professionnelle nouvelle qui, si elle est par définition mise en lumière, n’est pas encore assez encouragée. Il s’agit pourtant d’un métier tout à fait moderne, celui de hocheur. Cette profession consiste à suivre une personne qui capte l’attention des médias et à marquer, lorsque la vedette s’exprime, son approbation par de vigoureux hochements de tête.

Certes ce job ne vient pas d’être inventé. Et même s’il peut sembler marginal dans l’économie productive, il requiert des qualités. Il y faut d’abord un don naturel qu’on pourrait appeler luminophilie ou luxotropisme : en clair, il s’agit d’être sur la photo. Il ne sert à rien d’accompagner son chef et d’opiner du chef si l’on n’est pas cadré par l’objectif. Mais il faut en outre faire preuve d’une aptitude paradoxale puisqu’on doit à la fois être immobile pour ne pas parasiter le discours qu’on est en train d’approuver et être d’une souplesse ondulante pour se trouver toujours dans le cadre si d’aventure la caméra vient à se déplacer. Pas facile.

On a vu des experts qui ne se distinguaient par aucune autre vertu que celle du hochement permanent. Le sympathique Jean-Marie Bockel, ex-ministre d’ouverture, a passé cinq années à hocher de la tête. D’abord nommé à la Coopération puis rétrogradé, sur intervention des fils Bongo, Eyadéma et Kabila, aux Anciens Combattants avant d’être totalement évincé, notre hocheur émérite ne s’est jamais lassé d’approuver de façon muette mais énergique tous les propos de Nicolas Sarkozy. Car un bon hocheur doit veiller à son rythme : si le leader hausse le ton, le hocheur hausse le menton ; c’est un coup à prendre.

Revenons donc à France 2 qui accueillait Jean-Marc Ayrault, lequel avait invité ou convoqué une bonne moitié de son gouvernement pour hocher à ses propos. Tous les poids lourds, les fortes têtes, étaient là, à l’exception de Laurent Fabius retenu à New-York et dont la pente naturelle n’est pas d’approuver les autres. Mais nos ministres ont hoché très convenablement, les plus subtils le faisant discrètement et les autres sans retenue, à la limite du hennissement muet. Même le très indépendant Manuel Valls a opiné à plusieurs reprises, surtout, pour être juste, lorsqu’on disait du bien de lui. On a pu constater que le hocheur le plus fidèle ne doit pas être aveugle et accepter n’importe quoi. Quand Madame Kosciusko-Morizet est venue contredire le Premier Ministre, ses propos ont été accompagnés de fortes dénégations ministérielles aussi éloquentes que muettes. Bref, tout s’est bien passé et l’on peut imaginer que nos éminences sont sorties de là pour aller se défouler en livrant enfin leur sentiment sous les hochements complimenteurs des membres de leurs cabinets respectifs.

On a envie après une telle soirée de se laisser bercer par la prose quasi japonaise d’Amélie Nothomb dans « Stupeur et tremblements ».