Mais quelle mouche a-t-elle donc bien pu piquer Emmanuel Macron ? Probablement la mouche tsé tsé.  Le voilà qui s’en va en Algérie pour y déclarer, presque benoîtement, que la colonisation est « un crime contre l’humanité ». Houlala, quelle bronca ! M. Fillon, tout heureux de voir le débat se fixer ailleurs que sur ses turpitudes, Madame Le Pen qui se prétend l’héritière des parachutistes de la bataille d’Alger, et tous les Ciotti, Estrosi, Mariani, lui sont tombés sur le dos. Haro sur l’anti-France ! Voilà le diable « cosmopolite » démasqué !

Certes, le leader de « En Marche ! » s’est expliqué, assez courageusement d’ailleurs, et a un peu corrigé son propos. Il parle désormais de « crime contre l’humain » puisque la notion de crime contre l’humanité imprescriptible est un concept juridique récent bien postérieur à la colonisation. Et convenons-en, on peut tomber d’accord avec lui. Il est en effet criminel de priver toute une collectivité humaine de son pouvoir politique, c’est-à-dire de sa capacité à faire de son destin un avenir choisi plutôt qu’une fatalité subie. D’accord.

Pour autant, toutes les vérités sont-elles bonnes à dire ? N’importe quand et n’importe où ? Pour le lieu, l’Algérie est sans doute le territoire où la décolonisation a été la plus douloureuse. Ses plaies ne sont refermées ni du côté des Algériens bien sûr ni du côté des Pieds-Noirs et des harkis. Il est bien tôt pour réconcilier des mémoires aussi vivement affrontées.

Quant au moment, une campagne présidentielle où tout vous sourit n’est peut-être pas le meilleur instant pour réveiller des polémiques assoupies.

Mais la tentation est grande. Pascal Bruckner l’avait bien décrite dans  « Le Sanglot de l’homme blanc ». Il s’agit d’inculper le passé, de mettre l’Histoire en procès, en oubliant que celle-ci n’est ni morale ni gentille mais tragique. On peut toujours aller plus loin dans cette direction. La loi Taubira condamnant l’esclavage a sans doute fait œuvre utile. Faut-il aller plus loin et envisager, comme le réclament des lobbies assez puissants, d’indemniser les descendants d’esclaves ? Il va être difficile d’évaluer le préjudice de Teddy Riner ou de Michelle Obama privés par nos ancêtres du plaisir de déguster un ragoût de python sur les pentes du Mont Cameroun.

Et la rançon haïtienne ? Certains intégristes de la repentance exigent de la France qu’elle rembourse l’énorme tribut imposé à la jeune république haïtienne pour dédommager les colons chassés de Port-au-Prince. Oui, mais dans quelle monnaie ? Le franc-or encaissé par Charles X ou la gourde, actuelle monnaie d’Haïti ? Allez savoir pourquoi, notre préférence va vers la gourde.

Il reste d’ailleurs mille réparations à effectuer avant d’indemniser les ayants droit de l’infortuné Louis XVI. Comment admettre qu’un aventurier franco-italien ait donné son nom à Brazzaville, la capitale du Congo, et que ce scandale perdure grâce à la complicité de dirigeants locaux achetés par nos compagnies pétrolières ? Et il nous faut absolument signaler à Emmanuel Macron un autre crime demeuré impuni. Restons en Afrique Equatoriale Française pour dénoncer l’administration coloniale qui a édité là-bas, pendant des décennies, des timbres poste représentant des femmes indigènes aux seins nus. Pendant que la femme africaine était ainsi agressée dans sa dignité, des générations de jeunes philatélistes blancs, parfois de 12 ou 13 ans, ont été encouragées à examiner des femmes nues à la loupe. Parfaitement.