Le sous-marin est imprévisible aurait pu dire Alexandre Vialatte. Il est impossible à repérer, il est furtif et, quand il fait surface, c’est toujours là où l’on ne l’attend pas. Dans la célèbre et très mal nommée affaire Clearstream, des sous-marins, que la France avait vendus au Pakistan et que l’on croyait occupés à patrouiller dans l’embouchure boueuse de l’Indus ou même dans le delta du Gange, avaient ressurgi très inopinément au Luxembourg où ils avaient causé pas mal de dégâts. Un conseil donc, même si vous habitez au cœur du Massif Central, méfiez-vous toujours des sous-marins.
Voyez la Suède. Les lecteurs de Stieg Larsson (« Millenium ») ou, dans un genre différent, de Jonas Jonasson (« Le vieux qui ne voulait pas… ») savent qu’il ne faut pas prendre pour argent comptant les airs bonasses des Suédois et la prétendue neutralité de leur armée. En vérité, le Suédois est un écologiste de façade et un va-t-en-guerre dès que son hypocrite prospérité luthérienne est menacée.
Et ces temps-ci justement, la Suède s’estime menacée. Dans l’archipel de Stockholm, un semis d’îles innombrables, des observateurs ont cru voir plus qu’un périscope, la tourelle émergée d’un sous-marin. Blanc, pas jaune. Depuis cette apparition l’état-major national fait mine de se perdre en conjectures. D’où pouvait bien venir ce bâtiment ? Le seul vrai voisin sur le littoral de la Baltique, la Finlande est, elle, une nation authentiquement neutre. Elle a même fourni un nom commun, « la finlandisation », pour désigner la neutralité militaire de précaution ; c’est le statut qu’Hubert Védrine préconise pour l’Ukraine. Alors, les pays baltes ? S’ils ont montré, d’assez loin il est vrai, une remarquable agressivité pendant la crise ukrainienne précisément, ces micro-Etats ne semblent pas disposer de submersibles. L’Allemagne ? Même après le passage de François Hollande dans l’île de Rügen, les Allemands se tiennent à l’écart des grands affrontements stratégiques. Peut-être la Pologne ? Vous n’y pensez pas… Depuis les années 1980, le grand port du nord, Gdansk-Dantzig, est le lieu matriciel de la démocratie et de la transparence absolue, version polonaise de la glasnost du russe Gorbatchev.
La Russie, parlons-en, puisque c’est vers elle que se tournent les soupçons des militaires suédois. L’île pétersbourgeoise de Cronstadt ayant été rendue au tourisme et la base de Libau (Liep?ja désormais) rendue à la Lettonie, les forces navales de la Russie sont concentrées dans l’enclave de Kaliningrad, l’ancienne Koenigsberg d’Emmanuel Kant. On sait Vladimir Poutine capable de tout. Après Donetsk, envisage-t-il d’envahir Stockholm ? Mystère puisque le sous-marin fantôme, qui émettait des messages codés sur une fréquence de détresse, n’a pas reparu. Le verra-t-on demain aux alentours de Saint-Nazaire où l’on peaufine les navires Mistral, le Sébastopol et le Vladivostok, vendus à la Russie ? En attendant qu’il repointe son museau, ceux qui n’apprécient ni les polars scandinaves ni les délires jubilatoires de Jonasson pourront se faire une idée de l’exécrable mentalité suédoise en lisant « L’extradition des Baltes » de Per Olov Enquist.