Prophète en son ancien pays, Manuel Valls vient d’être désigné Homme de l’année par le quotidien espagnol El Mundo. On ne peut garantir que cette remarquable distinction lui vaudra l’indulgence des socialistes frondeurs. Le journal El Mundo est en effet à Madrid ce que Le Figaro est à Paris. Très conservateur. Symétriquement, c’est un peu comme si Mariano Rajoy était étiqueté par Jean-Luc Mélenchon comme le politique le plus progressiste de l’Union européenne. Ces titres-là ne sont généralement pas très bénéfiques pour les récipiendaires. Manuel Valls avait déjà dû subir l’affection du Medef, le voici devenu coqueluche des anciens franquistes, ce qui ne correspond guère, disons-le, à son itinéraire familial. Mais par les temps qui courent, un dirigeant français peut-il faire la fine bouche sur les soutiens qu’il reçoit ?
Voyez François Hollande. Notre président, qui réussit à se faire huer à Carmaux, chez Jean Jaurès, et qui est obligé de constater la perte de la ville de Nevers, chez François Mitterrand et Pierre Bérégovoy, est lui aussi obligé de s’expatrier pour retrouver la faveur populaire. S’en va-t-il faire une tournée au Canada ? On lui offre un chien. En réalité, une chienne nommée Philae, contrairement à ce que nous avons écrit. Décide-t-il de libérer le Mali du danger islamiste ? Il est accueilli à Bamako comme le serait Zinedine Zidane ou Johnny Hallyday. Et on lui donne un dromadaire. Part-il explorer les perspectives économiques ouvertes au Kazakhstan ? Il y est accueilli comme un roi et il reçoit un magnifique manteau brodé et une chapka fourrée à la mode kazakh.
C’est à se demander si les Français ont une idée juste de la valeur de leurs dirigeants. Allez, pour un exemple historique, vous promener à Naples et vous serez étonné de voir quelle vénération entoure Napoléon, au moins dans les cercles intellectuels. Peut-être expliquera-t-on cet engouement par la proximité euphonique entre napolitain et napoléonien. Rien de tel à Odessa où Richelieu fait l’objet d’un véritable culte. Il ne s’agit certes pas du cardinal mais d’un de ses descendants à qui la Grande Catherine fit l’honneur de le nommer gouverneur de la ville peu après avoir constitué une rente à Denis Diderot en lui achetant sa bibliothèque moyennant un énorme coffre de roubles-or.
Imagine-t-on aujourd’hui qu’Angela Merkel vienne à récompenser la germanophilie d’un Jean-Marc Ayrault, d’un Bruno Lemaire ou d’un Dominique Strauss-Kahn en offrant à l’un ou à l’autre la présidence du Schleswig-Holstein ? Ou Matteo Renzi choisissant Aurélie Filipetti comme ministre de la sidérurgie italienne ? Non.
Il faut donc saluer l’oscar politique attribué à Manuel Valls pour ce qu’il est : une nouvelle suppression des Pyrénées. A tout le moins une promesse de disparition de l’enclave de Llivia.